Adèle, Boubouroche, André (caché)
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(Boubouroche entre comme un fou, descend en scène, se rend à la porte de droite, qu'il ouvre, plonge anxieusement ses regards dans l'obscurité de la pièce à laquelle elle donne accès; va, de là, à la fenêtre de gauche, dont il écarte violemment les rideaux.)
Adèle (qui l'a suivi des yeux avec une stupéfaction croissante.)
Regarde-moi donc un peu.
(Boubouroche, les poings fermés, marche sur elle.)
Adèle (qui, elle, vient sur lui avec une grande tranquillité.)
En voilà une figure!… Que se passe-t-il? Qu'est-ce qu'il y a?
Boubouroche
Il y a que tu me trompes.
Adèle
Je te trompe!… Comment, je te trompe?… Qu'est-ce que tu veux dire par là?
Boubouroche
Je veux dire que tu te moques de moi; que tu es la dernière des coquines et qu'il y a quelqu'un ici.
Adèle
Quelqu'un!
Boubouroche
Oui, quelqu'un.
Adèle
Qui?
Boubouroche
Quelqu'un!
(Un temps.)
Adèle (éclatant de rire.)
Voilà du nouveau.
Boubouroche (la main haute.)
Ah! ne ris pas!… Et ne nie pas! Tu y perdrais ton temps et ta peine: je sais tout!… C'est cela, hausse les épaules; efforce-toi de me faire croire qu'on a mystifié ma bonne foi. (Geste large.)
Le ciel m'est témoin que j'ai commencé par le croire et que je suis resté dix minutes les pieds sur le bord du trottoir, les yeux rivés à cette croisée, m'accusant d'être fou, me reprochant d'être ingrat!… J'allais m'en retourner, je te le jure, quand tout à coup, deux ombres - la tienne et une autre!… - ont passé en se poursuivant sur la tache éclairée de la fenêtre. A cette heure, tu n'as plus qu'à me livrer ton complice; nous avons à causer tous deux de choses qui ne te regardent pas. Va donc me chercher cet homme, Adèle. C'est à cette condition seulement, que je te pardonnerai peut-être, car (très ému)
ma tendresse pour toi, sans bornes, me rendrait capable de tout, même de perdre un jour le souvenir de l'inexprimable douleur sous laquelle sombre toute ma vie.
Adèle
Tu es bête!
Boubouroche
Je l'ai été. Oui, j'ai été huit ans ta dupe; inexplicablement aveugle en présence de telles évidences qu'elles auraient dû me crever les yeux!… N'importe, ces temps sont finis; la canaille peut triompher, une minute vient toujours où le bon Dieu, qui est un brave homme, se met avec les honnêtes gens.
Adèle
Assez!
Boubouroche (abasourdi.)
Tu m'imposes le silence, je crois?
Adèle
Tu peux même en être certain!… (Hors d'elle.)
En voilà un énergumène, qui entre ici comme un boulet, pousse les portes, tire les rideaux, emplit la maison de ses cris, me traite comme la dernière des filles, va jusqu'à lever la main sur moi!…
Boubouroche
Adèle…
Adèle
… tout cela parce que, soi-disant, il aurait vu passer deux ombres sur la transparence d'un rideau! D'abord tu es ivre.
Boubouroche
Ce n'est pas vrai.
Adèle
Alors tu mens.
Boubouroche
Je ne mens pas.
Adèle
Donc tu es gris; c'est bien ce que je disais!… (Effarement ahuri de Boubouroche.)
De deux choses l'une: tu as vu double ou tu me cherches querelle.
Boubouroche (troublé et qui commence à perdre sa belle assurance.)
Enfin, ma chère amie, voilà! Moi… on m'a raconté des choses.
Adèle (ironique.)
Et tu les as tenues pour parole d'Evangile? Et l'idée ne t'est pas venue un seul instant d'en appeler à la vraisemblance? aux huit années de liaison que nous avons derrière nous? (Silence embarrassant de Boubouroche.)
C'est délicieux! En sorte que je suis à la merci du premier chien coiffé venu… Un monsieur passera, qui dira: Votre femme vous est infidèle, moi je paierai les pots cassés; je tiendrai la queue de la poêle?
Boubouroche
Mais…
Adèle
Détrompe-toi.
Boubouroche (à part.)
J'ai fait une gaffe.
Adèle
Celle-là est trop forte, par exemple. (Tout en parlant, elle est revenue au guéridon et elle y a pris la lampe, qu'elle apporte à Boubouroche.)
Voici de la lumière.
Boubouroche
Pour quoi faire?
Adèle
Pour que tu ailles voir toi-même. Ne fais donc pas l'étonné.
Boubouroche (se dérobant.)
Tu n'empêcheras jamais les gens qui aiment d'être jaloux.
Adèle
Tu l'as déjà dit.
Boubouroche
Moi?… Quand ça?
Adèle (à part.)
Oh! (Haut.)
Tu m'ennuies! Je te dis de prendre cette lampe… (Boubouroche prend la lampe.)
… et d'aller voir. Tu connais l'appartement, hein? Je n'ai pas besoin de t'accompagner?
Boubouroche (convaincu.)
Ne sois donc pas méchante, Adèle. Est-ce que c'est ma faute, à moi, si on m'a collé une blague? Pardonne-moi, et n'en parlons plus.
Adèle (moqueuse.)
Tu sollicites mon pardon?… C'est bizarre!… Ce n'est donc plus à moi de mériter le tien par mon repentir et par ma bonne conduite?… (Changement de ton.)
Va toujours, nous verrons plus tard. Comme, au fond, tu es plus naïf que méchant, il est possible - pas sûr, pourtant - que je perde, moi, un jour, le souvenir de l'odieuse injure que tu m'as faite. Mais j'exige… tu entends? j'exige! que tu ne quittes cet appartement qu'après en avoir scruté, fouillé, l'une après l'autre chaque pièce. Il y a un homme ici, c'est vrai.
Boubouroche (goguenard.)
Mais non.
Adèle
Ma parole d'honneur. (Indiquant de son doigt le bahut où est enfermé André.)
Tiens, il est là-dedans! (Boubouroche rigole.)
Viens donc voir.
Boubouroche (au comble de la joie.)
Tu me prendrais pour une poire!…
Adèle
Voici la clé de la cave.
Boubouroche (les yeux au ciel.)
La cave!…
Adèle
Tu me feras le plaisir d'y descendre…
Boubouroche
Tu es dure avec moi, tu sais.
Adèle
… et de regarder entre les tonneaux et les murs. Ah! je te fais des infidélités?… Ah! je cache des amants chez moi?… Eh! bien, cherche, mon cher, et trouve!
Boubouroche
Allons! Je n'ai que ce que je mérite.
(La lampe au poing, il va lentement, non sans se retourner de temps en temps pour diriger vers Adèle, qui demeure impitoyable et muette, des regards suppliants de chien battu, jusqu'à la petite porte de droite, qu'il atteint enfin et qu'il pousse. Coup d'air. La lampe s'éteint.)
Boubouroche
Bon!
(Mais à la seconde précise où l'ombre a envahi le théâtre, la lumière de la bougie qui éclaire la cachette d'André est apparue très visible.)
Adèle (étouffant un cri.)
Ah!
Boubouroche (à tâtons.)
Voilà une autre histoire. Tu as des allumettes, Adèle?(Brusquement.)
Tiens!… Qu'est-ce que c'est que ça?… de la lumière!
(Précipitamment, il dépose sa lampe; court au bahut, l'ouvre tout grand et se recule en poussant un cri terrible.)
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