Scène XII


Beaudéduit ; puis Cécile

Beaudéduit (seul, reprenant son chapeau et sa cravache.)
Je n'étais pas fâché de leur donner cette leçon. (S'approchant de la fenêtre.)
Dominique ! les chevaux !

Cécile (rentrant par la droite, à part.)
Il doit avoir fait sa demande… (Apercevant Beaudéduit.)
Ah !… pardon, je venais chercher ma broderie.

Beaudéduit
Mademoiselle… je suis on ne peut plus heureux de vous rencontrer…

Cécile (à part.)
Il va me faire sa déclaration !

Beaudéduit
Pour vous adresser mes adieux les plus… distingués.

Cécile
Comment ! vous partez ?…

Beaudéduit
Oui… j'ai des ouvriers dans mon immeuble… mon immeuble !… près des Bains Chinois !

Cécile
Et c'est pour cela ?… (Piquée.)
Je ne vous retiens pas, monsieur !

Beaudéduit
Je dois sans doute vous laisser peu de regrets… ma façade seule est en pierre de taille… le reste est un modeste pan de bois…

Cécile
Plaît-il ?

Beaudéduit
Tout ce qu'il y a de plus pan de bois… Vous trouverez mieux sans doute… comme superficie et comme élévation…

Cécile (à part.)
Mais de quoi me parle-t-il ?

Beaudéduit
En partant, permettez-moi de former des vœux pour votre fortune… Mademoiselle… soyez heureuse… puissiez-vous épouser un passage ! voilà tout le mal que je vous souhaite !

Cécile
Un passage ! pour quoi faire ?

Beaudéduit
On dit que les boutiques s'y louent très cher… tandis que ma maison…

Cécile
Vous avez une maison ?

Beaudéduit
Vous savez bien… près des Bains Chinois…

Cécile
Ah !… je l'ignorais !

Beaudéduit (avec surprise.)
Ah bah ! comment ! bien vrai ?

Cécile
Certainement.

Beaudéduit (vivement.)
Jurez-le-moi !

Cécile
Quand je vous le dis…

Beaudéduit
Je vous crois… oh ! je vous crois !… mais jurez-le-moi !

Cécile
Je vous le jure.

Beaudéduit (avec transport.)
Oh ! ange ! Elle ne le savait pas ! tu ne le savais pas !…
(Il l'embrasse.)

Cécile (se reculant effrayée.)
Mais, monsieur !…

Beaudéduit
Oh ! pardon !… c'est un premier élan… Je vais faire ma demande…

Cécile
Comment, monsieur, elle n'est pas faite ?…

Beaudéduit
Non… M. votre père m'a raconté des histoires de… colzas, de sous-sol argileux… Je ne sais pas trop pourquoi… Mais, avant de m'adresser à lui, permettez-moi de m'assurer de vos sentiments. (Se posant.)
Mademoiselle, j'ai trente-deux ans… (À part.)
Bah ! je me décide pour trente-deux… (Haut.)
On m'accorde quelque esprit… Du moins, on me l'a dit si souvent, que j'ai fini par le croire… Quant au physique… le voilà… je ne le cache pas !… il ne m'appartient pas de l'apprécier…

Cécile (très embarrassée.)
Certainement… monsieur…

Beaudéduit
Vous dites ?…

Cécile
Je ne dis rien !
(Elle baisse la tête.)

Beaudéduit (à part.)
Rien !… Je la trouve bien froide à mon égard. (Haut.)
Enfin, mademoiselle, puis-je me flatter d'avoir produit sur vous quelque impression ?…

Cécile (intimidée.)
Mais non, monsieur !

Beaudéduit
Comment !… je vois ce que c'est… Votre odieux père vous fait violence !…

Cécile
Mais pas du tout !… il me laisse parfaitement libre de mon choix.

Beaudéduit
Ah ! (Se piquant.)
Alors je comprends… c'est vous qui ne voulez pas… Très bien… je n'ai plus rien à dire… (Remontant.)
Dominique !

Cécile (impatientée.)
Mais laissez donc votre domestique tranquille ! c'est insupportable !

Beaudéduit
Mademoiselle, je ne vous demande qu'un seul mot.

Cécile
Puisque je vous épouse…

Beaudéduit
Le mariage n'est pas une raison… c'est une cérémonie. Ainsi, mademoiselle, parlez franchement… Moi, je ne crains pas de vous le dire : vous me plaisez !… vous me plaisez !… vous me plaisez !!! ça doit vous mettre à votre aise… Allez !

Cécile
Que voulez-vous que je réponde ?… Je ne vous connais presque pas.

Beaudéduit
Qu'à cela ne tienne ! (Se posant.)
Mademoiselle, j'ai quarante… non ! trente-deux ans… (À part.)
J'ai dit une bêtise… Je ne fais que ça… (Haut.)
On m'accorde quelque esprit…

Cécile (étourdiment.)
Savez-vous chanter ?

Beaudéduit
Très bien !… c'est-à-dire… agréablement !

Cécile
Oh ! tant mieux ! nous chanterons !

Beaudéduit
Tout de suite !

Cécile
Je vais chercher de la musique.
(Elle remonte vers la droite.)

Beaudéduit (passant à gauche, à part.)
Elle veut m'essayer ! c'est évident.
(Il remet son chapeau et sa cravache sur le petit guéridon, à gauche.)

Cécile
(Air de la Petite Sœur)
Restez là… je reviens.

Beaudéduit
Pardon !
J'attends une réponse claire (bis)

Cécile
Sur quoi, monsieur ?

Beaudéduit
Ai-je le don
De vous plaire ou de vous déplaire ?
Soyez sincère !
Nettoyons ce point nébuleux ;
Parlez.

Cécile
Vraiment ! c'est tyrannique !
Dieu ! que vous êtes ennuyeux…

Beaudéduit (piqué.)
Ah ! très bien ! je suis ennuyeux !… (Appelant.)
Dominique !
(Suite de l'Air)

Cécile (vivement)
Quand vous appelez Dominique (bis)
Dominique !

Beaudéduit (avec transport.)
Ah !
(Il l'embrasse.)

Cécile
Mais finissez donc, monsieur !…

Beaudéduit
Pardon… c'est un second élan… Je suis plein d'élans.

Cécile (se sauvant.)
Je vais chercher de la musique !
(Elle sort vivement par la droite.)


Autres textes de Eugène Labiche

29 degrés à l'ombre

(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...

Un pied dans le crime

(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....

Un monsieur qui a brûlé une dame

(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...

Un mari qui lance sa femme

(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...

Un jeune homme pressé

(Le théâtre représente une chambre à coucher. — Au fond, au milieu, un lit avec des rideaux. À côté, une table de nuit. À droite et à gauche du lit,...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025