Trébuchard; puis Prudenval
Trébuchard
"Jamais ! jamais ! jamais !…" Me voilà bien !… Ah ! je comprends le sacrifice d'Iphigénie en Tauride ; mais nous n'y sommes pas, et ici, c'est prohibé par les règlements de police… malheureusement !… (Se promenant, très agité.)
Ah çà ! cette fille majeure ne me lâchera donc pas ?… Au bout du compte, elle ne m'est rien !… elle est du lit Arthur… et je suis étranger à ce meuble !… C'est qu'il n'y a pas à dire, Claire. s'est prononcée !… elle n'en veut pas comme fille… Blanche. e peut pourtant pas être sa mère !… (Tout à coup, et frappé d'une idée.)
Hein ! sa mère ! pourquoi pas ? (Plus fort.)
Pourquoi donc pas ?… Prudenval. st veuf. (Avec force.)
Il n'en a pas le droit !… D'ailleurs, j'ai besoin de lui !… il n'y a que lui de possible ! Il faut que mon beau-père devienne mon gendre ! Comment ? je ne le sais pas !… mais il le faut ! (Le voyant entrer.)
Le voici.
Prudenval (entrant par le fond, agité.)
Ah ! mon ami !… je n'en peux plus…
Trébuchard
Qu'avez-vous donc ?
Prudenval
Je suis indigné ! je viens de chez mon médecin…
Trébuchard
Eh bien ?
Prudenval
Un homme qui met sur ses cartes : "Consultations de midi à deux heures…"
Trébuchard (à part l'examinant.)
Comment l'attaquer ?
Prudenval
Je sonne… Un domestique paraît. Où est ton maître ? — Il est parti pour Amiens depuis dimanche. "
Trébuchard (l'examinant.)
Dire qu'il faut rendre ça amoureux !
Prudenval
On ne se moque pas du monde comme ça… Et maintenant, je suis forcé d'attendre à demain… et, pendant ce temps-là, ma maladie fait des ravages !… Trébuchard… vous ne connaîtriez pas une lumière de la Faculté qui ne soit pas à Amiens ?
Trébuchard (à part)
Tiens ! si je pouvais !… (Haut.)
Je vous offrirais bien mes faibles talents… mais la confiance ne se commande pas.
Prudenval
Comment ! vous savez la médecine ?
Trébuchard
Il demande si je sais la médecine !… je l'ai creusée neuf ans ! ( (À part))
J'ai failli être reçu dentiste !
Prudenval
C'est vrai… vous me l'aviez dit à l'époque de vos trois voyages à Reims…
Trébuchard
Je m'occupe surtout des maladies… vagues !
Prudenval
Précisément… ma maladie est extrêmement vague… Figurez-vous que, quand je mange… et même quand je ne mange pas…
Trébuchard
C'est très vague… Voyons le pouls ?
Prudenval
Voilà !
(Il tire la langue.)
Trébuchard (la regardant.)
Qu'est-ce que c'est que ça ?
Prudenval
À Reims, on commence toujours par là.
Trébuchard (tirant sa montre, et lui tâtant le pouls d'un air doctoral.)
De la fréquence… de l'intermittence et même un peu d'indolence !
(avec joie)
Prudenval (effrayé.)
Saprebleu !
Trébuchard
À quel âge vous êtes-vous marié ?
Prudenval
À vingt-neuf ans, neuf mois et seize jours.
Trébuchard
Mauvais… mauvais !…
Prudenval (inquiet.)
Je l'ai toujours cru… le mariage ne me réussit pas…
Trébuchard (vivement)
Ne dites pas ça ! ne dites pas ça !
Prudenval
Entre nous, madame Prudenval. tait une excellente femme… mais elle me contrariait toujours… elle m'agaçait, cette pauvre amie… aussi j'ai juré de ne jamais me remarier… de mon vivant !
Trébuchard
Ah ! vous avez juré ? ( (À part))
Ca tombe bien ! (Haut.)
Vous allez peut-être me trouver un peu indiscret ?
Prudenval
Allez… allez… ne craignez pas de me faire des questions.
Trébuchard
Quand vous vous trouvez dans un salon près d'une jolie femme… quel sentiment éprouvez-vous ?
Prudenval
Moi ?… j'éprouve le besoin de faire un whist.
Trébuchard
Voilà tout ?
Prudenval
Exactement !
Trébuchard
Mon compliment ! (À part)
Il est bien froid. (Haut.)
Permettez.
Il l'ausculte en appliquant sur la poitrine de Prudenval. es doigts réunis de la main gauche, et en frappant dessus de petits coups secs avec trois doigts réunis de la main droite. À chaque coup, Prudenval. ursaute, très inquiet.
Prudenval (alarmé.)
Eh bien, voyez-vous quelque chose ?
Trébuchard
Tout ! tout !
Prudenval
Ah ! voyons !
Trébuchard (avec ménagement.)
Mon ami… mon cher ami… du courage !…
Prudenval (très effrayé.)
Hein ?…
Trébuchard (avec aplomb.)
Vous êtes atteint d'une complication chronique du péritoine !
Prudenval
Du péritoine !… Où est-ce situé ?
Trébuchard
Partout.
Prudenval (effrayé.)
C'est bien ça. Mais le remède ?… Il y a un remède ?…
Trébuchard
Sur huit malades… j'en ai perdu dix.
Prudenval (vivement)
Et le onzième ?
Trébuchard (de même)
: :
Je l'ai sauvé.
Prudenval (de même)
:
Comment ?
Trébuchard (de même)
Non… vous ne voudrez pas.
Prudenval (de même)
Je vous dis que si !
Trébuchard (de même)
C'est une médecine de cheval…
Prudenval
Ah !… quelque chose d'amer ?…
Trébuchard
Très amer !… Je l'ai marié ! v'lan !
Trébuchard
Saprelotte !
(Il prend vivement sa canne et son chapeau, et remonte en courant.)
Trébuchard
Où allez-vous donc ?
Prudenval
À Reims… prendre médecine !
Trébuchard
Comment ?
Prudenval
Je ne connais personne ici…
Trébuchard
Chut !… j'ai votre affaire.
Prudenval
Ah ! bah ! Qui ça ?
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...