Scène XI


Emile, François

Emile (tirant François par l'oreille.)
Ah ! grand lâche !… tu vas te faire servir par le cocher…

François
Dame ! monsieur, le plus que je pourrai…

Emile
Je m'en rapporte à toi… As-tu payé le déjeuner de ce matin ?

François
Oui, monsieur, voici la note. (Il la lui remet, et à part.)
Dans ce moment, je tends un piège à sa délicatesse…

Emile (examinant la note)
Allons, ce n'est pas cher…

François
Je le crois bien ! ils ont oublié les huîtres.

Emile
Tiens ! c'est vrai…

François
Et vous comprenez… que je n'ai pas été assez bête pour le leur dire…

Emile (sévèrement.)
Monsieur François, je consens quelquefois à me laisser voler… mais je ne vole jamais les autres !

François (lui prenant la main avec effusion.)
Bien, jeune homme ! bien !

Emile (le repoussant.)
Ah çà ! veux-tu me laisser !… Il a une rage de me serrer les mains !

François (à part.)
Toutes les qualités !… la crème des gendres !

Emile
Tu vas reporter cette note, et tu y feras ajouter les huîtres.

François (avec admiration.)
Oui, monsieur le comte, oui !…
(Il envoie un baiser à Emile, qui lui tourne le dos.)

Emile (le retenant.)
Attends !…. J'ai un mot à écrire à mademoiselle Mandolina
(Il se met à son bureau à gauche, et écrit.)

François (à part.)
Ah ! voilà ! toujours sa Mandolina ! il vient de la quitter il y a cinq minutes et il faut qu'il lui écrive !

Emile (à part.)
Je vais lui dire tout bonnement la chose… (Ecrivant.)
"Cher ange, on me propose un parti brillant…" (S'arrêtant.)
Oh ! non ! ça a l'air d'une lettre d'affaires. (Il froisse son papier, le jette à terre et recommence.)
Une pensée philosophique !… ça la touchera. (Ecrivant.)
"Rien n'est éternel ici-bas… L'amour pas plus que les fleurs…" (S'arrêtant.)
Ah ! non ! elle ne comprendrait pas…
(Il froisse son papier et le jette à terre.)

François (à part, l'observant.)
Il lui fait des vers… Ça ne vient pas…

Emile (à part.)
Ah ! que je suis bête !…

François (à part.)
Il fait des vers…

Emile (à part.)
Quelque chose de plus simple… (Il tire quelques billets de banque de son bureau.)
Elle comprendra ça tout de suite…

François (à part.)
Des billets de banque !

Emile (à part.)
En les mettant sous enveloppe avec un petit mot. (Ecrivant.)
"N, i, ni… c'est fini ! " (Parlé.)
Voilà l'affaire !
(Il met le tout sous enveloppe et écrit l'adresse.)

François (à part.)
Il les lui envoie !

Emile
Tiens ! ce billet à son adresse… il n'y a pas de réponse.

François (d'une voix tragique.)
Oui, monsieur le comte.

Emile
Qu'est-ce qu'il a ? (Regardant sa montre.)
Deux heures ?… Mon notaire doit être rentré…

François
Oui, monsieur le comte.

Emile
Est-il bête !
(Il sort par le fond.)


Autres textes de Eugène Labiche

29 degrés à l'ombre

(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...

Un pied dans le crime

(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....

Un monsieur qui prend la mouche

Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....

Un monsieur qui a brûlé une dame

(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...

Un mari qui lance sa femme

(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025