Scène VIII

Manicamp
(paraissant au fond, à droite,)
Bravo, mon gendre ! Bravo !

Berthe
Oh !
(Elle se sauve par la gauche.)

Manicamp
Ah ! mon compliment, Folleville !… Je me disais toujours : "Quand il sera échauffé, il ira très bien… il s'agit de l'échauffer. "

Folleville
N'allez pas croire au moins…

Manicamp
Que vous embrassiez ma fille ?

Folleville
Si… mais qu'est-ce que ça prouve ?… (À part.)
Allons, il le faut. (Haut.)
Marquis, j'ai à vous parler sérieusement.

Manicamp
À moi ? je vous écoute.

Folleville
Croyez que c'est après avoir mûrement réfléchi…

Manicamp
À quoi ?

Folleville
C'est bien malgré moi… mais… enfin je ne pourrai jamais épouser votre fille.

Manicamp
Comment ? ah ! voilà du nouveau ! et pourquoi, monsieur, pourquoi ?

Folleville
D'abord mademoiselle Berthe aime quelqu'un.

Manicamp
Ce n'est pas vrai.

Folleville
Et moi-même, de mon côté…

Manicamp
Ce n'est pas possible… vous aimez Berthe !

Folleville
(résolument.)
Eh bien, non, là !

Manicamp
On ne peut pas ne pas aimer Berthe.

Folleville
Cependant…

Manicamp
Et, puisque vous aimez Berthe, vous épouserez Berthe !

Folleville
Voyons… écoutez-moi, marquis…

Manicamp
Je n'écoute rien ! Ne pas épouser ma fille, vous, mon meilleur ami ? je vous égorgerais plutôt !

Folleville
(à part.)
Diable d'homme !

Manicamp
Je n'ai qu'une parole, moi, monsieur ! et c'est quand le mariage est prêt, quand le notaire va venir, quand le prince de Conti est prévenu…

Folleville
Le prince ! je n'y pensais plus.

Manicamp
Quand la chose a pris un caractère public, officiel…

Folleville
(à part.)
Le fait est qu'il est un peu tard…

Manicamp
Enfin, c'est au moment où je vous trouve seul avec ma fille… l'embrassant !… que vous venez me dire…
(Air)
Voyons, monsieur, parlons raison,
Oubliez-vous que je suis père ?
Des filles de notre maison,
Quel usage entendez-vous faire ?
Sur leur front un baiser secret
Vaut d'un contrat les signatures
Et c'est un acte qui n'admet
Ni les renvois ni les ratures !

Folleville
(à lui-même.)
Allons, puisqu'il le faut… il n'y a qu'une lettre à récrire… (À Manicamp.)
et je vais de ce pas…

Manicamp
(le Poursuivant les bras ouverts.)
Ah ! Folleville ! mon cher Folleville !

Folleville
(reculant.)
Adieu, adieu, Manicamp.
(Il entre dans le cabinet à droite.)


Autres textes de Eugène Labiche

29 degrés à l'ombre

(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...

Un pied dans le crime

(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....

Un monsieur qui prend la mouche

Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....

Un monsieur qui a brûlé une dame

(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...

Un mari qui lance sa femme

(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025