Chatenay
(entrant par le fond à droite.)
Personne !… M. le marquis de Manicamp ?
Berthe
Ah ! mon Dieu ! c'est lui !
Chatenay
(apercevant Berthe.)
Eh ! mais… je ne me trompe pas…
Berthe
(à part.)
Ah ! je voudrais bien me sauver…
Chatenay
Ma jolie danseuse…
Berthe
(sans le regarder.)
Oui, monsieur… c'est moi qui…
Chatenay
Enchanté, mademoiselle, de renouveler connaissance avec une personne… dont les rapports…
Berthe
C'est moi, monsieur, qui suis flattée… (Saluant.)
J'ai bien l'honneur de vous saluer.
Chatenay
Eh quoi ! vous me quittez ?…
Berthe
Je crois qu'on m'appelle…
Chatenay
J'ai beau prêter l'oreille…
Berthe
C'est que… mon père est sorti…
Chatenay
Ah ! tant mieux !
Berthe
Comment ?
Chatenay
Si vous le permettez… nous l'attendrons… en causant.
Berthe
Oui, monsieur. (À part.)
Nous allons causer !
Chatenay
Vous paraissez aimer vivement la danse, mademoiselle ?
Berthe
Oui, monsieur.
Chatenay
Et vigoureusement le menuet ?
Berthe
(à part.)
Nous y voilà.
Chatenay
Eh bien, vous avez raison, car vous y déployez une grâce, une souplesse, une vivacité… une vivacité surtout !
Berthe
(à part.)
Il veut parler de…
(Elle fait le geste de donner un soufflet.)
Chatenay
J'ai beaucoup voyagé… j'ai vu danser à peu près toutes les cours de l'Europe, et, sans flatterie, nulle part je n'ai rencontré cette élégance facile, cette distinction sans raideur…
Berthe
Ah ! monsieur ! (À part.)
Mais il n'est pas méchant du tout. (Haut, avec hésitation.)
Et vous, monsieur, vous ne dansez donc pas ?
Chatenay
Moi ? quelquefois… hier par exemple…
Berthe
(à part.)
Aïe !
Chatenay
Mais j'ai si peu de succès…
Berthe
(à part.)
J'ai eu tort de lui demander ça.
Chatenay
Pour que je me lance, pour que je me décide à exposer en public ma gaucherie naturelle, il faut que je sois entraîné, fasciné…
Berthe
Ah ! monsieur ! (À part.)
Dire que j'ai donné un soufflet à ce grand monsieur-là.
Chatenay
Alors, je perds la tête…j'oublie mon insuffisance… je vais… je vais… jusqu'à ce qu'un accident imprévu… Quelquefois je glisse sur le parquet… quelquefois je me cogne contre un meuble… ou contre… autre chose… ça me réveille, je rentre en moi-même… je suis honteux du désordre que j'ai causé… et je n'existe plus jusqu'au moment où il m'est permis de présenter à ma danseuse mes excuses et mes regrets.
Berthe
Des excuses ? mais c'est moi qui vous en dois… et je vous prie bien d'oublier un mouvement… d'impatience !
Chatenay
L'oublier ? jamais. Il y a dans ce qui m'est arrivé… par votre intermédiaire… je ne sais quoi d'imprévu, de piquant, d'original qui me séduit… qui m'enchante… Croiriez-vous que, depuis hier… cette charmante petite… rencontre ne me sort pas de la tête… elle me trotte… : elle me galope… enfin je n'y tenais plus… j'avais besoin de vous voir, de vous dire…
Berthe
Ah ! monsieur, n'accusez que ma vivacité…
Chatenay
Vous êtes vive ? oh ! j'adore ces caractères-là !… mais, moi aussi, je suis vif, emporté, bouillant…
Berthe
Ah bah !
Chatenay
Tenez, ce matin, au moment de sortir, j'ai brisé un vase de Chine.
Berthe
Et moi un cabaret de porcelaine.
Chatenay
Vraiment ! ah ! c'est charmant ! ça fait tant de bien de briser, de casser…
Berthe
Oh ! oui…
Chatenay
Et puis après, le dos tourné, on n'y pense plus.
Berthe
C'est comme moi…
Chatenay
(Air)
Quand le jour luit, quand l'orage s'apaise,
On redevient doux comme un Benjamin
Ca ne dit pas qu'on ait l'âme mauvaise.
Berthe
C'est comme moi, j'ai le cœur sur la main.
Chatenay
Ah ! j'aurais dû m'en douter, je l'avoue…
Berthe
Pourquoi cela ?
Chatenay
C'est qu'à ne pas mentir,
Hier au bal, j'avais bien cru sentir
Votre cœur tout près de ma joue.
Berthe
Monsieur… (À part.)
C'est qu'il est aimable ! très aimable !
Chatenay
Il me reste une prière à vous adresser…
Berthe
Laquelle ?
Chatenay
Seriez-vous assez bonne… pour m'apprendre…
Berthe
Quoi ?
Chatenay
Le menuet ?
Berthe
(à part.)
Par exemple ! (Haut.)
Mais, monsieur.
Chatenay
C'est que… comme j'ai l'intention de vous inviter souvent… je craindrais de vous fatiguer… le bras !… Voyons, un menuet, je vous en prie !
Berthe
Mais, monsieur, on ne danse pas comme ça dans le jour.
Chatenay
(remontant.)
Voulez-vous que je revienne ce soir ?
Berthe
(le suivant.)
Mais non, monsieur.
Chatenay
Alors, un petit menuet.
Berthe
Oh ! que vous êtes tourmentant… Allons, puisque vous le voulez absolument… (Elle se pose.)
D'abord, si vous me regardez comme ça… je n'oserai jamais…
Chatenay
D'un autre côté, si je ne vous regarde pas, j'apprendrai difficilement…
Berthe
On peut voir sans regarder.
Chatenay
Ah !
Berthe
Nous autres demoiselles, nous voyons très bien, très bien !… et nous ne regardons jamais.
Chatenay
(à Part.)
Petite tartufe !
Berthe
Je commence.
Berthe
(dansant)
(Air du menuet d'Exaudet)
Gravement,
Noblement
On s'avance,
On fait trois pas de côté,
Deux battus, un jeté,
Sans rompre la cadence.
Chatenay
Ah ! vraiment !
C'est charmant !
Je me lance,
Par votre exemple entraîné,
Oui, j'aime en forcené
La danse
Berthe
Mettez-y donc plus de grâce !
Chatenay
Faut-il reprendre ma place ?
Berthe
Non, chassez,
Rechassez…
En mesure !…
Chatenay salue en tournant le dos.
Saluez… mais pas par là !
Vers moi tournez donc la
Figure !
Chatenay
M'y voici !
C'est ainsi,
Je suppose ;
Pardon si je suis distrait,
Mon professeur en est
La cause.
(Il poursuit, vivement)
Mademoiselle, je n'y tiens plus ! je ne sais pas si c'est le menuet ou l'amour, mais je vous aime, je vous adore et je demande à vous épouser…
Berthe
Comment, monsieur ?
Chatenay
Si vous me refusez, je me jette par la fenêtre.
(Il court vivement à la fenêtre de droite et l'ouvre.)
Berthe
Ah !
Chatenay
Prenez garde, je suis très vif !
Berthe
(effrayée.)
Arrêtez, monsieur, arrêtez !
Chatenay
(tenant la fenêtre.)
M'aimez-vous ?
Berthe
Mais… (Sur un mouvement de Chatenay.)
Oui, monsieur !… oui, monsieur !
Chatenay
Ce n'est pas assez… M'adorez-vous ?
Berthe
Dame !… (Nouveau mouvement de Chatenay.)
Oui, monsieur ! mais fermez la fenêtre !
Chatenay
Consentez-vous à m'épouser ?
Berthe
Avec plaisir ! mais fermez la fenêtre.
Chatenay
Ah ! mademoiselle, tant de bontés ! pour moi, que vous connaissez à peine…
Berthe
Il faut bien ! vous avez une manière si pressante… Ah ! mon Dieu ! et Folleville !
Chatenay
Qu'est-ce que c'est que ça, Folleville ?
Berthe
Un prétendu qui doit m'épouser dans quelques jours.
Chatenay
Vous l'aimez ?
Berthe
Mais pas du tout !
Chatenay
Eh bien, alors ?…
Berthe
C'est qu'il m'a donné une bague, une très jolie bague.
Chatenay
Vous la lui rendrez.
Berthe
C'est juste !… j'en achèterai une autre quand je serai mariée.
Chatenay
Vous en aurez dix ! vous en aurez vingt ! vous en aurez cent !
Berthe
Ah çà ! et mon père ?
Chatenay
Qu'est-ce que ça lui fait, moi ou Folleville ?
Berthe
Au fait.
Chatenay
je suis riche, je suis noble, je vous aime… Il ne peut rien répondre à cela.
Berthe
Certainement.
Chatenay
Où est-il ?
Berthe
Chez le notaire pour le contrat.
Chatenay
J'y cours, je lui fais ma demande et…
Berthe
Mais, monsieur…
Chatenay
Je vais rouvrir la fenêtre !
Berthe
(vivement.)
Partez ! partez !…
(Ensemble)
(Air du quadrille de Bayard)
(Pantalon)
Chatenay
Oui, dès aujourd'hui, je veux votre main
Et ne prétends pas attendre à demain,
Je suis, j'en suis sûr, l'époux qu'il vous faut,
Vous me reverrez bientôt.
Berthe
Quoi ! déjà vraiment vous voulez ma main
Et sans vouloir même attendre à demain ?
Vous êtes, je crois, l'époux qu'il me faut,
Mais aujourd'hui, c'est bien tôt.
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...