(Le théâtre représente une chambre à coucher. — Au fond, au milieu, un lit avec des rideaux. À côté, une table de nuit. À droite et à gauche du lit, portes, celle de droite conduisant à l'extérieur. — À gauche, premier plan, une porte ; deuxième plan, une croisée. — À droite, premier plan, autre porte ; deuxième plan, une table avec ce qu'il faut pour écrire. — Chaises, fauteuils, etc.Pontbichet ; puis Dardard)
(Au lever du rideau, la scène est obscure, Pontbichet est couché, il ronfle.)
Dardard (en dehors, sonnant avec force.)
Monsieur !… monsieur !
Pontbichet (se réveillant.)
Hein ?… il me semble qu'on a agité ma sonnette ?…
Dardard
Ouvrez ! ouvrez ! ouvrez…
Pontbichet
Qui va là ?
Dardard
Moi !… un jeune homme pressé… Je bous, je brûle, je flambe !
Pontbichet (descendant de son lit et passant un pantalon après avoir allumé une bougie à sa veilleuse.)
Ah ! mon Dieu !… est-ce que le feu serait à la maison ?
Dardard
Dépêchez-vous donc !
Pontbichet
Que diable ! donnez-moi le temps de passer un pantalon. (À part.)
Ces pompiers sont d'une impatience !…
Dardard
Je vous attends.
(Il sonne de nouveau et sans discontinuer.)
Pontbichet
Un instant donc !
Dardard
C'est pour vous empêcher de vous rendormir.
Pontbichet (allant ouvrir.)
Voilà, pompier, voilà !… mais, si c'est pour faire la chaîne… je suis enrhumé. (Apercevant Dardard.)
Un inconnu !… sans casque ! Monsieur, que voulez-vous ?
Dardard
Monsieur, je voudrais causer avec vous.
Pontbichet
Causer ! ah çà ! quelle heure est-il ?
Dardard
Deux heures du matin… Mais ça ne fait rien… je n'y tiens plus ! je n'y tiens plus !
Pontbichet (à part, effrayé.)
Deux heures… j'ai peut-être eu tort d'ouvrir ma porte…
Dardard
Monsieur, je suis un jeune homme pressé : dites-moi tout de suite si c'est vous ?
Pontbichet
Moi, quoi ?
Dardard
Le père… ou non ?
Pontbichet
Ah çà ! si c'est pour jouer à ce jeu-là…
Dardard
Etiez-vous, oui ou non, ce soir au théâtre de M. Dormeuil ?
Pontbichet
Oui, en famille… Mais je ne vois pas…
Dardard
Occupiez-vous le numéro 13, second rang, première galerie, côté gauche ?… dites-moi si vous étiez bien ?
Pontbichet
Oh ! extrêmement bien…
Dardard
Enfin, n'y avait-il pas près de vous une jeune fille… avec des yeux ! un nez ! une bouche !…
Pontbichet
En effet… ma fille Cornélie… Après ?
Dardard (ôtant son paletot.)
Ca suffit. (Il paraît en habit noir, gants blancs, costume de prétendu.)
Monsieur, je suis un jeune homme pressé, Ernest Dardard-Lacassagne, de Dumirac, près de Bordeaux ; et j'ai l'honneur de vous demander la main de mademoiselle Cornélie, votre fille.
Pontbichet
Ah çà ! monsieur, vous flanquez-vous de moi ? Comment ? vous venez à deux heures du matin violer mon sanctuaire… et me conter vos polissonneries !…
Dardard
Il me semble que ma démarche…
Pontbichet
Sortez !
Dardard
Par exemple !
Pontbichet
Monsieur, je vous préviens que ma table de nuit contient deux objets !…
Dardard (l'arrêtant publiquement.)
Chut ! on ne nomme pas ces choses-là !
Pontbichet (continuant)
Une paire de pistolets pour les malfaiteurs, et un verre d'eau sucrée pour moi… quand je tousse.
Dardard
En vérité ! eh bien ?
(Air : Vaudeville de la Famille de l'apothicaire)
Moi, je blâme cet imbroglio.
Des pistolets, de l'eau sucrée
On croirait pour un quiproquo
La chose à dessein préparée.
Voyez d'ici l'affreuse erreur…
Vous pourriez, prenant l'un pour l'autre,
Sucrer… la cervelle au voleur,
Et percer un trou dans la vôtre.
Pontbichet
Ah çà ! monsieur, vous faites de l'esprit… moi, j'ai envie de dormir.
Dardard
Recouchez-vous.
Pontbichet
Quand vous serez parti.
Dardard
Moi ! partir sans l'avoir vue, sans avoir revu Cornélie ?…
Pontbichet
C'est ça, je vais la faire habiller pour vous.
Dardard
Ah ! je ne demande ça !
Pontbichet
C'est heureux.
Dardard
Qu'elle vienne comme elle est… ce n'est pas sa robe que j'aime… ce n'est pas sa robe que j'épouse…
Pontbichet
Mais, monsieur…
Dardard
Ah ! vous ne me connaissez pas ; je suis de Bordeaux, monsieur !… j'ai la tête chaude !…
Pontbichet
Qu'est-ce que ça me fait ?
Dardard
Et, à Bordeaux, quand on aime, quand on distingue une jeune fille au spectacle, on ne s'informe ni de son rang, ni de son nom, ni de son sexe…
Pontbichet
Mais, monsieur…
Dardard (s'animant.)
On la suit. Si elle monte dans un fiacre, on galope, on traverse les ponts, on rejoint le sapin, on grimpe derrière…
Pontbichet
Mais, monsieur…
Dardard (de même)
On reçoit un coup de fouet, v'lan ! ça ne fait rien… on tombe, on se relève, on arrive chez le père…
Pontbichet
Mais, monsieur…
Dardard (continuant)
Un gros qui dort ; on lui dit : "Réveillez-vous, habillez-vous, mariez-nous ! "
Pontbichet
Est-ce que vous êtes tous comme ça à Bordeaux ?
Dardard
Tous !
Pontbichet
Eh bien, à Paris, c'est différent ; quand on nous réveille… nous prenons un bâton, bien rond, que nous cassons, sans façon, sur le Gascon.
Dardard
Tiens, nous jouons au corbillon ! qu'y met-on ?
Pontbichet
Terminons…
Dardard
Ah !… le mot est bon.
Pontbichet
Vous désirez voir ma fille ?
Dardard
Oui.
Pontbichet
Eh bien, vous ne la verrez pas…
Dardard
Très bien !
Pontbichet
Vous demandez à l'épouser ?
Dardard
Oui.
Pontbichet
Eh bien, vous ne l'épouserez pas.
Dardard
Très bien !
Pontbichet
Maintenant, mon petit ami, je vais vous mettre à la porte.
Dardard
Non.
Pontbichet
Savez-vous que je suis plus gros que vous… et par conséquent plus…
Dardard
Gras ?
Pontbichet
Non, plus fort.
Dardard
En entrant, j'ai fermé votre porte à double tour, et j'ai mis la clef dans ma poche… la voici !
Pontbichet
Eh bien ?
Dardard
Pour rester, il ne tiendrait qu'à moi de la lancer par la fenêtre !
Pontbichet
Oui, mais je vous ferais prendre le même chemin.
Dardard
Non.
Pontbichet
Pourquoi ?
Dardard
Parce que, casser un Gascon, c'est très cher, c'est un grand luxe !… Ca se paye double.
Pontbichet (à part)
Il a raison.
Dardard
Tenez, je suis bon diable, je sors de bonne volonté !… mais pour revenir… Dites donc, je vais toujours acheter la corbeille !
Pontbichet
La corbeille ?
Dardard
Oh ! soyez donc tranquille ! je ferai bien les choses.
Pontbichet
C'est trop fort !…
Dardard
Au revoir… beau-père !
(Ensemble, Air : Etrange aventure, ou Scélérat atroce Existence décolorée)
Pontbichet
Etrange aventure
C'est une gageure.
Voyez sa figure,
Voyez sa tournure,
Pour oser ainsi
Porter ici
Sa mine d'amoureux transi !
Sais-tu, gredin,
Que je puis t'assommer soudain ?
Dardard
Charmante aventure !
Grâce à la nature,
Avec ma figure,
Avec ma tournure,
Je puis, sans souci,
Sortir d'ici,
Je suis certain
De plaire à ta fille demain.
(Dardard sort par la porte du fond à droite, après avoir remis la clef dans la serrure.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...