Carbonnel (rentrant à part.)
Ca a eu de la peine à prendre, mais ça a pris.
Bernard
Je comprends… vous me conseillez de les offrir tous les deux.
Carbonnel (il a un soufflet à la main ; à part, apercevant le colonel et sa femme.)
Hein ? ils sont ensemble ? Et moi qui croyais l'enfumer.
Bernard (le voyant)
Ah ! voilà Carbonnel…
Carbonnel (cachant son soufflet.)
Oui, c'est moi… Vous… causiez ?
Bernard
De choses intimes… qui ne vous regardent pas, curieux ! (Se levant.)
À propos, j'ai vu l'appartement, il y a une cheminée qui fume…
Carbonnel
Horriblement !… C'est irrémédiable !
Bernard (riant.)
Voilà un drôle de propriétaire !… Quel prix ?
Carbonnel
Quatorze mille francs !
Bernard
Hein ? Deux chambres à coucher, un salon et un bout de salle à manger ?…
Carbonnel
Quatorze mille francs !… et les portes et fenêtres !
Bernard, éclatant de rire.
Ah ! très joli !… Nous causerons de cela plus tard… Lorsque vous êtes entré, j'avais presque décidé Madame à se laisser enlever…
Carbonnel
Plaît-il ?
Bernard
Pour la conduire mardi au bal du ministre de la Guerre.
Elisa
Oui, mon ami, sauf votre assentiment…
Carbonnel
Permettez ! permettez !
Bernard
Ah ! mais, si ça vous ennuie… vous n'en serez pas ! on vous donne congé !
Carbonnel (à part.)
On me donne congé !… je le trouve superbe ! (Bas.)
Comment, madame, vous ne rougissez pas ?… (Apercevant les deux bracelets au bras d'Elisa.)
Hein ? des bracelets ?… il lui donne des bracelets !
Elisa (à part.)
Il est jaloux !… il va me rendre les clefs ! (Haut au colonel.)
En vérité, colonel, plus je regarde ces bracelets, plus je trouve que vous êtes un homme de goût…
Bernard (s'incliant.)
Oh ! madame…
Elisa
Il était impossible de choisir quelque chose de plus gracieux, de plus riche et de plus simple à la fois… N'est-ce pas, mon ami ?
Bernard (s'inclinant.)
Oh ! madame…
Carbonnel (bas à sa femme.)
Allons ! embrassez-le tout de suite !
Bernard
Vous me donnez de l'amour-propre… Je finirai par me croire connaisseur…
Elisa
Mais vous l'êtes… comme toutes les natures distinguées…
Bernard
Ah ! madame, ménagez-moi !
Elisa
Je ne dis que ce que je pense.
Carbonnel (bas à Elisa.)
Madame, ce marivaudage est indécent ! Rendez ces bracelets !
Elisa (bas.)
Rendez-moi les clefs !
Carbonnel (bas.)
Jamais !
Elisa (bas.)
Très bien !
Bernard
Qu'avez-vous donc ?
Elisa
Rien… c'est mon mari qui insiste pour me faire accepter votre bras pour mardi…
Carbonnel (stupéfait.)
Moi ?
Bernard
À la bonne heure !
Elisa
Je vous préviens que je serai belle… très belle ! Et, si l'on danse… (appuyant)
j'invite le colonel !
Carbonnel (bas et vivement.)
Non ! j'aime mieux rendre les clefs !
(Il les rend.)
Elisa (bas.)
Merci ! (Haut à Bernard, détachant un bracelet.)
Colonel… voici votre bracelet.
Carbonnel (bas.)
Et l'autre !
Elisa (à son mari.)
Mon ami… prête-moi ta bourse…
Carbonnel (bas.)
L'autre !
Elisa (bas.)
Votre bourse…
Carbonnel (la lui remettant.)
La voilà !
Elisa
Merci ! (Remettant le second bracelet à Bernard.)
Colonel…
Carbonnel (à part.)
Me revoilà avec mes sept francs !
Isidore (entrant, avec une note à la main.)
Monsieur, il y a là un garçon frisé, de chez Véfour…
Carbonnel (à part.)
Ah ! mon Dieu ! la note !…
Isidore
Il dit que ces messieurs ont fait ouvrir les huîtres… qu'ils les ont mangées… (Présentant la note.)
Total, cent soixante-neuf francs.
Carbonnel (bas à Elisa.)
Rends-moi la bourse !
Elisa
Oh ! que non !… (Donnant la bourse à Isidore.)
Payez et rapportez-moi le reste.
(Isidore sort.)
Carbonnel (avec une fureur concentrée.)
Et devant lui !
Bernard (à Elisa.)
À quelle heure, madame, pourrai-je vous prendre demain, pour aller choisir ma corbeille ?
Carbonnel
Comment, votre corbeille !… vous vous mariez ?
Bernard
Je suis venu de Marseille exprès pour ça !
Carbonnel
Vous étiez à Marseille ?
Bernard
Depuis quinze mois… Je suis arrivé ce matin.
Carbonnel
Ce matin !… de Marseille !… (Respirant.)
Mais alors, ces lettres, ces bouquets ?…
Bernard
Quelles lettres ?… quels bouquets ?…
Carbonnel
Rien !… une affaire de ménage.
Bernard (remontant et appelant.)
Isidore !… (Isidore rentre.)
Tu vas me porter cela…
(Il lui remet les bracelets et lui parle bas.)
Carbonnel (bas à sa femme.)
Il paraît que nous nous sommes moquée de notre petit mari ?
Elisa (gaiement.)
J'en ai peur !
Carbonnel
C'est charmant ! (À part.)
Alors, elle va me rendre les clefs ! (Haut.)
Colonel, venez donc par ici… que je vous raconte une anecdote.
Bernard (sans redescendre.)
À moi ?
Carbonnel
Figurez-vous que ma femme…
Elisa (bas.)
Taisez-vous !… je vous pardonne !
Bernard
Vous dites que Madame… ?
Elisa (bas, suppliant.)
Mon ami ?…
Carbonnel (bas.)
Les clefs ! ou je dis tout !
Elisa (effrayée.)
Les voici !
Carbonnel (triomphant.)
Je les ai !
Bernard (redescendant en scène.) (Isidore sort.)
:
Eh bien, votre anecdote ?
Carbonnel
Rien !… une affaire de ménage !… (Avec effusion.)
Ah !… colonel ! mon ami !… car vous êtes mon ami !… je ferai arranger la cheminée… L'appartement est de douze cents francs… sans portes ni fenêtres… Vous dînez avec nous ?… (Par réflexion.)
Tiens ! j'invite aussi le colonel.
(Elisa passe au milieu pendant l'ensemble.)
Ensemble
(Air)
Enfin, la paix et le bonheur
Sont revenus dans le ménage ;
Fasse le ciel qu'aucun nuage
Ne trouble ce calme enchanteur !
Carbonnel (au public)
(Air de Mangeant)
Dans le régiment dramatique,
Soldats, tous présents à l'appel,
Nous marchons au pas gymnastique
Sous les regards d'un colonel.
Bernard
Toujours juste et jamais cruel,
Ce colonel… c'est le parterre !
Elisa
Souriez d'un œil paternel
À notre salut militaire,
Mon colonel…
Bernard
Mon colonel…
Carbonnel
Mon colonel ! (Tous, faisant le salut militaire)
Souriez d'un œil paternel, Etc.
(RIDEAU)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...