La Brige (apportant à M. Saumâtre son parapluie et son chapeau)
Le Christ a dit: "Rends à César ce qui appartient à César." -- Voici votre pépin et votre tube. -- Et maintenant, toi, Hortense, couche-toi!
Hortense (ahurie)
Que je me couche?
La Brige
A l'instant même. -- Monsieur Saumâtre… serviteur!
Monsieur Saumâtre (abasourdi)
Comment!…
La Brige
Veuillez vous retirer.
Monsieur Saumâtre
Ah çà! mais, qu'est-ce que cela veut dire?
La Brige
Cela veut dire, monsieur Saumâtre, que madame, enceinte, est à terme, et que la loi lui donne neuf jours pour accoucher.
Monsieur Saumâtre
Neuf jours!
La Brige
Oui, neuf jours.
Monsieur Saumâtre
Ce n'est pas vrai.
La Brige
Oh! mais pardon!… Soyez poli, ou je vais avoir le regret de vous mettre à la porte.
Monsieur Saumâtre
Monsieur, j'ai pour habitude d'être poli avec tout le monde. Seulement vous me permettez de vous le dire: vous me faites rire avec vos neuf jours. Et mon nouveau locataire?
La Brige
Vous n'avez pas la prétention de le coucher dans le lit d'Hortense?
Monsieur Saumâtre
Non! Mais encore faut-il qu'il couche quelque part.
La Brige
Il couchera où il voudra.
Monsieur Saumâtre (avec finesse)
A vos frais.
La Brige
Pourquoi à mes frais? Je ne connais pas cet homme, comme disait saint Pierre; c'est avec vou s, non avec moi qu'il a passé un contrat, c'est donc, non à moi, mais à vous qu'il intentera un procès, gagné d'avance, bien entendu.
Monsieur Saumâtre
Possible! Seulement moi, malin, je vous poursuivrai à mon tour.
La Brige
Deuxième procès!
Monsieur Saumâtre
Deuxième procès!
La Brige
Que vous perdrez comme le premier.
Monsieur Saumâtre
Parce que?
La Brige
Parce que des trois personnes en cause vous êtes la seule qui n'ait pas raison jusqu'au cou. Comment! vous ne comprenez pas que votre nouveau locataire a précisément les mêmes droits à venir occuper ce logement, que moi à ne pas en sortir?… lui, en vertu de la loi commune qui régit les contrats entre particuliers, moi, en vertu de la loi d'exception que crée le cas de force majeure?
Monsieur Saumâtre
D'où je conclus qu'étant donné une maison dont je suis seul propriétaire, tout le monde y est maître, excepté moi?…
La Brige
Naturellement.
Monsieur Saumâtre
Dans tous les cas, il est tout à fait inutile d'élever la voix comme vous le faites. Discutons et tombons d'accord. Nous ne sommes des bêtes féroces ni vous ni moi. Voyons… vous me laisseriez, vous dites?
La Brige
Je vous laisserai peau de balle.
Monsieur Saumâtre
Comment?
La Brige
Et balai de crin… J'emporterai jusqu'aux verres de lampes.
Monsieur Saumâtre
Tout à l'heure…
La Brige
Tout à l'heure n'est pas à présent… Il fallait accepter quand je vous ai offert.
Monsieur Saumâtre
J'ai changé d'avis.
La Brige
Moi aussi.
Monsieur Saumâtre
Soit, je ne veux pas de discussion avec un bon locataire. Vous me signeriez donc des billets payables à quarante-huit heures?
La Brige
Je vous signerai peau de zébie.
Monsieur Saumâtre
Elle est trop forte! Pourquoi me l'avez-vous offert, puisque vous aviez l'intention de revenir sur votre parole?…
La Brige
Pourquoi avez-vous refusé, puisque vous deviez revenir sur votre décision?
Monsieur Saumâtre
Permettez!
La Brige
Permettez vous-même. J'étais, il y a un instant, un pauvre diable au désespoir de ne pouvoir payer ses dettes et qui en appelait humblement au bon vouloir de son semblable. La loi me menaçait donc de ses foudres. A cette heure, passé à d'autres exercices, je vous expulse d'une maison qui a cessé d'être la mienne. J'ai donc la loi avec moi. Car c'est aussi simple que cela, et il suffit neuf fois sur dix à un honnête homme échoué dans les toiles d'araignée du Code de se conduire comme un malfaiteur, pour être immédiatement dans la légalité. Eh bien, monsieur, j'y suis, j'y reste. Vous m'avez contraint à m'y mettre, vous trouverez bon que j'y demeure. Sur ce, mon cher propriétaire, faites-moi le plaisir de filer, que j'aille chercher la sage-femme. -- Eh bien, Hortense?… Au lit!… Couche-toi!
Monsieur Saumâtre
Hortense, ne vous couchez pas! (A La Brige.)
Fichez-moi le camp, vous, elle, votre bronze de chez Barbedienne, votre buffet et votre baromètre! Débarrassez-moi le plancher et que je n'entende plus parler de vous.
Hortense
Pardon. Et les cent sous que nous avons donnés à messieurs les déménageurs?
Monsieur Saumâtre (goguenard)
Il faut que je vous les rende, peut-être!
La Brige
Vous ne les rendrez pas?
Monsieur Saumâtre
Non!
La Brige
Hortense…
Monsieur Saumâtre (exaspéré)
Assez!… Les voilà! -- Est-ce tout? Voulez-vous ma montre?… Voulez-vous mon parapluie?
La Brige
Mille remerciements, cher monsieur. Respectueux du bien d'autrui, je vous laisserai l'une et l'autre. J'ajoute que vous ne perdrez rien. Je vous dois deux cent cinquante francs, je vous les paierai à un centime près!… par acomptes!… vingt sous par semaine!… sur lesquels vous pouvez compter comme s'ils étaient déjà à la Caisse d'Epargne. C'est l'affaire de quelques années, mais que sont quelques années, comparées à l'Eternité? -- Or, voici les déménageurs qui viennent reprendre leurs paniers et qui arrivent fort à propos pour terminer la comédie. (Aux déménageurs.)
Tout est bien qui finit bien, nous sommes d'accord, monsieur et moi, et vous pouvez enfin, messieurs, sur vos nuques et sur vos dos, charger, charger les lourds fardeaux.
Les déménageurs
Bénissons l'heureuse journée
Qui voit triompher la vertu.
(A M. Saumâtre)
Et toi, monstre avide et têtu,
Fuis vers une autre destinée.
Sur nos nuques et sur nos dos
Chargeons, messieurs, chargeons les lourds fardeaux.
Georges CourtelineUne lettre chargéeSaynète(Représentée pour la première fois, sur la scène du Carillon, le 10 juin 1897.)PersonnagesLa Brige, Millanvoye.L'employé, Tervil.(La scène se passe à la Poste.)La Brige (le nez à...
L'huissierMonsieur Le substitut, j'ai l'honneur de vous présenter mes hommages.Le substitutBonjour, Loyal. Vous avez l'Officiel ?L'huissierNon, Monsieur Le substitut.Le substitutDepuis ce matin, je bats tous les kiosques de Paris; pas...
Théodore (sa voix, à la cantonade.)Ah çà; mais quel étage que je suis?… Bon sang de sort, en v'là une affaire!… j'sais pus quel étage que je suis!… Va falloir...
(La porte s'ouvre. Le garçon de bureau apparaît.)Le directeurC'est vous, Ovide ?OvideOui, monsieur le directeur.Le directeurEst-ce que M. Badin est venu ?OvideOui, monsieur le directeur.Le directeur (stupéfait)M. Badin est là...
LA BARONNEUn mot, je vous prie, monsieur de Brossarbourg, mon époux. Il faut enfin que je vous entretienne d'un petit incident d'une nature toute spéciale et sur lequel je me...