EDGARD
Approchez, mademoiselle Florestine… une explication est devenue nécessaire entre nous…
FLORESTINE (d'un ton dégagé)
Ah ça! est-ce que vous allez faire votre tête?
EDGARD
Je veux bien ne pas répondre à cette trivialité… mai je vous déclare que vos exigences ont pris un caractère très embêtant !
FLORESTINE (rangeant sur la table à droite et fredonnant. )
"Les canards l'ont bien passée, tire lire lire !…"
EDGARD
Me condamner à des maux de dents quotidiens, m'empêcher de sortir… de vaquer à mes affaires… les plus…
FLORESTINE
Ne faites donc pas de phrases… ça vous donne l'air Jocrisse !
EDGARD
Mademoiselle, je suis votre maître!…
FLORESTINE (fredonnant. )
"Les canards l'ont bien passée…"
EDGARD (à part, découragé. )
"Tire,lire,lire!…" Voilà ce que c'est de se familiariser! Elle est de bonne humeur… si je lui avouais tout bêtement la chose… car enfin, puisque je me marie, la politesse exige que je lui en fasse part. (Haut.)
Florestine… ma petite Florestine…
FLORESTINE (qui s'est assise à gauche et feuillette un journal de modes.)
Eh bien, après?
EDGARD (à part.)
Elle va peut-être grincer. (Haut.)
Avez-vous pensé quelquefois que je pourrais… me marier?.,.
FLORESTINE
Ah! c'te bêtise
EDGARD
Comment? (un peu rassuré, à part.)
Elle n'a pas grincé.
FLORESTINE
Vous êtes trop jeune… vingt-cinq ans!… mouchez-vous donc!
EDGARD (à part.)
Est-elle commune ! avez-vous remarqué comme elle est commune? (Haut)
Cependant… si par hasard un beau parti se présentait…
FLORESTINE (se levant et venant à lui)
Ah ça! qu'est-ce-que vous me chantez là? (Le regardant en face.)
C'est donc sérieux?
EDGARD (troublé.)
Sérieux… c'est-à-dire… et encore!… (A part.)
Cristi! quel œil!
FLORESTINE
Est-ce par hasard cette demoiselle Henriette?
EDGARD (vivement.)
Connais pas!
FLORESTINE
C'est que j'irais la trouver, voyez-vous!… et ça ne serait pas long.
EDGARD
Pour quoi faire?
FLORESTINE (appuyant)
Pour lui causer!…
EDGARD (à part.)
Elle me fait frémir! (S'efforçant de rire.)
Moi! épouser Henriette? ah! c'est une bonne charge!…la connais-tu?
FLORESTINE
Non.
EDGARD
Une petite rouge-carotte… avec une jambe de bois!
FLORESTINE
Comment ?
EDGARD (s'embrouillant.)
En bois de rose… c'est même pour ça que maman lui donne une jardinière… de même métal… (A part.)
Je ne sais plus ce que je dis !
FLORESTINE
Eh bien, alors! pourquoi venez-vous me parler de mariage?
EDGARD
C'est une épreuve !… je voulais voir si tu m'aimais… parce que… (Tout à coup.)
Florestine, je suis jaloux ! (A part.)
ça me tire d'affaire !
FLORESTINE
Jaloux! et de qui, mon Dieu?
EDGARD
De qui ? (A part.)
C'est vrai, je n'y ai pas pensé. (Trouvant .une idée.)
Ah ! (Haut.)
Vous plairait-il de me dire quel est ce pompier que j'ai rencontré ce matin dans l'escalier de service ?
FLORESTINE (troublée,)
Un pompier?… je ne sais…
EDGARD (tragiquement.)
Répondez ! (A part.)
Ça me tire d'affaire!
FLORESTINE
C'est… c'est le fils du tailleur qui lui montait son lait
EDGARD (avec indifférence.)
Ah! (A part.)
Ça m'est complètement égal.
(Il va prendre son chapeau.)
FLORESTINE
Les jambes me rentrent.
(Elle s'étend dans le fauteuil de madame Beaudeloche, devant la cheminée.)
EDGARD (à part)
Eh bien, la voilà qui s'installe dans la ganache à maman!
(Il va pour sortir. )
FLORESTINE
Il ne fait pas chaud ici… Edgard, mettez donc une bûche.
EDGARD (étonné, posant son chapeau à droite.)
Une bûche?… oui… oui… (Il va prendre une bûche dans le coffre à bois et dit à part.)
Si c'est pour ça que j'ai endossé une cravate blanche ! (En mettant la bûche au feu, il aperçoit la pendule.)
Credié! cinq heures moins un quart! (Haut.)
Florestine… ma petite Florestine !…
FLORESTINE
Quoi?
EDGARD
Je reviens!
(Fausse sortie)
FLORESTINE
Où allez-vous donc?.
EDGARD
Moi? je vais… je vais voter!… le scrutin ferme à cinq heures…
FLORESTINE
Bah! voter?
EDGARD
C'est un devoir, mademoiselle… c'est un devoir!
FLORESTINE
Approchez-moi donc ce tabouret.
EDGARD (stupéfait.)
Quel tabouret?
FLORESTINE
Là… pour mettre sous mes pieds.
EDGARD
Oui… Oui… (A part, portant le tabouret.)
Ah! que je suis donc content d'avoir mis une cravate blanche !(Il le lui donne)
.
FLORESTINE
Merci!… (Se renversant dans le fauteuil.)
Ah! On est bien comme ça !
EDGARD (à part en montrant les pieds de Florestine.)
Voyez-vous les chaussons de lisière ? Tiens, non ! elle n'en a pas!… Elle en avait ce matin… (Au public.)
Si vous étiez venus ce matin, vous les auriez vus… (Haut, lui serrant la main.)
Je reviens !
(Fausse sortie.)
FLORESTINE (le retenant.)
Asseyez-vous… là… près de moi…
EDGARD
Oui… c'est que le scrutin.(Il s'assied sur le tabouret.)
.
FLORESTINE
N'est-ce pas que c'est délicieux de passer la soirée comme ça… au coin du feu?…
EDGARD (se tapant le genoux avec impatience.)
Certainement… certainement… le coin du feu!… (A part.)
Elle m'embête énormément!…
FLORESTINE (avec sentiment. AIR de Pierre le Rouge,)
Être assis près de ce qu'on aime !
Ah ! que ça fait du bien au cœur !
EDGARD (très ennuyé.)
Ah que ça fait du bien au cœur
D'être assis près de ce qu'on aime
FLORESTINE
Éprouvez-vous tout ce bonheur
Comme je l'éprouve moi-même ?
EDGARD (de même.)
Je l'éprouve, parole d'honneur !
Trente-six fois plus que toi-même !
EDGARD (à part.)
Non, non, tu ne sais pas
Combien tu me pès's sur les bras ;
Non, non, tu ne sais pas
A quel point tu m" pès's sur les bras !
FLORESTINE
Non, non, l'on ne sait pas
Combien l' tête-à-tête a d'appas !
Non, non, l'on ne sait pas
Combien l'tête-à-tête a d'appas !
FLORESTINE
Où êtes-vous allé hier soir?…
EDGARD (à part.)
Chez mon beau-père ! (Haut.)
Je suis allé aux Bouffes., à l'Opéra-Bouffa…
FLORESTINE
Qu'est-ce que vous avez vu?…
EDGARD
J'ai vu… j'ai vu la Donna del Lago… charmant ouvrage!(Voulant se lever.)
Je reviens.
FLORESTINE (l'arrêtant avec la main et d'une voix câline.)
Oh! Edgard!… ne vous en allez pas !(Il tombe malgré lui à genoux sur le tabouret)
.
EDGARD (à part.)
Mâtin !… elle me fait de l'oeil ! ça se gâte
FLORESTINE
Vous seriez bien gentil… bien gentil… si vous vouliez me raconter l'opéra que vous avez vu hier soir ?
EDGARD (avec éclat, se levant et descendant la scène.)
Ah ! non ! ah ! non ! ! !
FLORESTINE (lui prenant le bras.)
Je vous en prie !
EDGARD
Permettez, ma chère amie… le scrutin ferme…
FLORESTINE
Eh bien, après vous irez voter.
EDGARD (à part.)
Ah ! mais… c'est un crampon!… la Donna del Lago…J ' n'en connais pas un traître mot!…
FLORESTINE
Eh bien ?
EDGARD
Voilà ! (A part)
Qu'est-ce que je pourrais donc lui raconter de très court ? Ah ! (Haut.)
Il y avait une fois un capitaine appelé Buridan… (A pan.)
Sapristi ! ça va être bien long… Je vais faire des coupures
FLORESTINE
Après ?
EDGARD
Ce Buridan avait eu autrefois des rapports avec la donna del Lago… une nommée Marguerite de
Bourgogne… qui avait l'habitude de recevoir ses amants dans une tour afin de les jeter à l'eau.
FLORESTINE (étonnée.)
Tiens !…
EDGARD (à part,)
J'aurais mieux fait de choisir la Demoiselle à marier. (Haut, reprenant.)
Alors… Gauthier d'Aulnay…
FLORESTINE
Mais c'est la Tour de Nesle, ça !
EDGARD
Tu crois?… c'est possible ! ils auront mis ça en italien, avec de jolis airs… les filous!… Allons!… puisque tu connais la Donna del Lago, bonsoir, je vais voter.
FLORESTINE (tout à coup.)
Ah! mon Dieu!…
EDGARD
Quoi encore !.
FLORESTINE
Madame, qui m'a dit de changer les rideaux,.,
EDGARD
Eh bien, change-les…
(Il va pour sortir par la droite)
FLORESTINE
Edgard, apportez-moi donc l'échelle.
EDGARD
Moi ! par exemple!… je n'ai pas le temps !
(Edgard disparaît par la droite, premier plan.)
FLORESTINE
L'échelle! l'échelle!… Je ne pourrai la porter toute seule!… Edgard, allons donc!
EDGARD (dans la coulisse, avec humeur)
Un instant, que diable ! (Rentrant et portant l'échelle.)
Ah! je suis bien content d'avoir mis une cravate blanche…
(Il place l'échelle devant la porte de gauche, à l'angle.)
FLORESTINE
Là!… pendant que vous allez décrocher ceux-ci, je vais chercher les autres rideaux… Montez…
EDGARD (résistant.)
Moi? je ne monte pas à l'échelle!…
FLORESTINE
Montez donc!…
EDGARD
Mais, mademoiselle…
FLORESTINE
Allons donc!… dépêchez-vous!…
EDGARD (montant de très mauvaise humeur.)
Voilà, mon Dieu!… voilà!… (Florestine sort par l'angle de droite. — Sur l'échelle )
Voilà ce que c'est que de se familiariser…
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...