LUI
Flûte!
ELLE
Ne te gêne pas pour moi. Ça me contrarierait.
LUI (qui depuis une demi-heure attendait le moment d'éclater. )
Toi, tu vas nous fiche la paix.
(Un temps.)
ELLE
Qu'est-ce qu'il y a encore ?
LUI
Tu m'embêtes.
ELLE
On t'a vendu des pois qui ne voulaient pas cuire ?
LUI
C'est bien. En voilà assez. Je te prie de me fiche la paix.
ELLE (à part. )
Retour de bal. La petite scène obligée de chaque fois. Ah! Dieu!…
LUI (enflamme une allumette, va à la lampe dont il soulève le verre. Puis à mi-voix.)
Ce n'est pas la peine. Il fait jour.
ELLE (qui enlève sa mantille et sa pelisse et qui s'étonne de le voir rouler une cigarette. )
Eh bien, tu ne te couches pas ?
LUI
Non.
ELLE
Pourquoi ?
LUI
Si on te le demande, tu diras que tu n'en sais rien.
ELLE
Comme tu voudras. (A part.)
Prends garde que je commence. Prends bien garde.
(LUI va et vient par la pièce, les mains aux reins, ruminant de sombres pensées. Des grondements rôdent dans le silence. Rencontre avec une chaise. Il l'empoigne, vient la planter à l'avant-scène, et l'enfourche, toujours sans un mot. Enfin,)
LUI (qui se décide à mettre le feu aux poudres.)
Eh bien, tu es satisfaite.
ELLE
A propos de quoi ?
LUI
Dame, tu serais difficile… Tu t'es assez…
ELLE
N'use pas ta salive, je sais ce que tu vas me dire. (Très simple.)
Je me suis fait peloter.
LUI
Oui, tu t'es fait peloter!
ELLE (assise près du lit et commençant à se dévêtir. )
Là!
Oh! je connais l'ordre et la marche. Dans un instant je me serai conduite comme une fille, dans deux minutes tu m'appelleras sale bête; dans cinq tu casseras quelque chose. C'est réglé comme un protocole.
Et pendant que j'y pense… (ELLE va à la cheminée, y prend une poterie ébréchée qu'ELLE dépose sur un guéridon, à portée du bras de Monsieur)
… je te recommande ce petit vase. Tu l'as entamé il y a six semaines en revenant de la soirée de l'Instruction Publique, mais il est encore bon pour faire des castagnettes.
(Monsieur, furieux, envoie l'objet à la volée à l'autre extrémité de la pièce.)
ELLE
Tu commences par la fin? Tant mieux! Ça modifiera un peu la monotonie du programme.
LUI (se levant comme mû par un ressort. )
Ah ! assez ! Ne m'exaspère pas! (Un temps.)
T'es-tu assez compromise!…
ELLE (à part. )
Sale bête, vous allez voir.
LUI (les dents serrées. )
Sale bête!
ELLE (à part. )
Ça y est.
LUI
Tu t'es conduite…
ELLE
Comme une fille.
LUI
Parfaitement. Ose un peu dire que ce n'est pas vrai ? Ose-le donc un peu, pour voir ?… Il n'y a pas de danger, parbleu! Tu t'es couverte d'opprobre.
ELLE
Oui.
LUI
Tu as traîné dans le ridicule le nom honorable que je porte!
ELLE
Navrante histoire! A ta place, j'en ferais une complainte.
LUI
Tu t'es compromise de la façon la plus révoltante!
ELLE
Oui, je te dis!
(ELLE va se poster devant la cheminée, et là, d'une main qui prend des précautions, ELLE cueille une large rose épanouie, la met en la nuit de ses cheveux.)
LUI
Et avec un soldat, encore. Car à cette heure tu donnes dans le pantalon rouge. Ah! c'est du joli! c'est du propre! A quand le tour de la livrée ?
ELLE (debout devant la cheminée, en jupon et en corset. )
Toi, tu as une certaine chance que je t'aie épousé.
LUI
Pourquoi ?
ELLE
Parce que si c'était à refaire…
LUI
Penses-tu que je n'en aie pas autant à ton service ? Je te conseille de parler ! Une femme dans ta position… (Long regard ironique de Madame.)
Oh ! ne joue donc pas sur les mots. … se galvauder avec un pousse-cailloux !…
ELLE
D'abord, c'est un officier…
LUI
C'est un drôle, voilà ce que c'est!… Et un polisson!… Et un sot!… Et un goujat de la pire espèce!… Son attitude à ton égard a été de la dernière inconvenance. Il t'a fait une cour scandaleuse!
ELLE (l'ongle aux dents. )
Pas ça !
LUI
Tu mens!
ELLE
Charmante éducation.
LUI
Tu mens!
ELLE (agacée. )
Et quand je mentirais ? Quand il me l'aurait faite la cour, ce brin de cour autorisé d'homme du monde à honnête femme ? Le grand malheur! La belle affaire !
LUI
Pardon…
ELLE
D'ailleurs, quoi ? Je te l'ai présenté. Il fallait te plaindre à lui-même, au lieu de te lancer comme tu l'as fait dans un déploiement ridicule de courbettes et de salamalecs. Et "Mon capitaine" par-ci, et "Mon capitaine" par là, et "Enchanté, mon capitaine, de faire votre connaissance". Ma parole, c'était écœurant de te voir ainsi faire des grâces et arrondir la bouche en derrière de poule, avec une figure d'assassin. Tu étais vert comme un sous-bois.
(ELLE passe et revient vers le lit.)
LUI
Je…
ELLE
Seulement voilà… ce n'est pas la bravoure qui t'étouffe…
LUI
Je…
ELLE
Alors tu n'as pas osé…
LUI
Je…
ELLE
Comme le soir où nous étions sur l'Esplanade des Invalides à voir tirer le feu d'artifice, et où tu affectais de compter les fusées et de crier : "Sept!… Huit!… Neuf!… Dix!… Onze!" pendant que je te disais tout bas : "II y a derrière moi un homme qui essaie de passer sa main par la fente de mon jupon. Fais-le donc finir. Il m'ennuie."
LUI (jouant dans la perfection la comédie de l'homme qui ne comprend pas. )
Je ne sais pas ce que tu me chantes avec ton histoire d'esplanade; mais pour en revenir à ce monsieur, si je ne lui ai pas dit ma façon de penser, c'est que j'ai cédé à des considérations d'un ordre spécial : l'horreur des scandales publics, le sentiment de ma dignité…
ELLE
… la peur bien naturelle des coups, et caetera, et caetera.
LUI (brûlé comme au fer rouge. )
Tu es plus bête qu'un troupeau d'oies! (Rires de Madame.)
Ah! et puis ne ris pas comme ça. Je sens que je ferais un malheur!… La peur des coups! La peur des coups!
ELLE
Bien sûr oui, la peur des coups. Tu n'as pas de sang dans les veines.
LUI
C'est de moi que tu parles ?
ELLE
Non. Du frotteur.
LUI
Par exemple; celle-là est raide! Moi, moi, je n'ai pas de sang dans les veines ? En six mois de temps, j'ai flanqué onze bonnes à la porte, et je n'ai pas de sang dans les veines ? …
D'ailleurs c'est bien simple. Où est l'encre ? (Il s'installe devant le guéridon, attire à soi un petit buvard de dame et en tire un cahier de papier.)
Je ne voulais pas donner de suite à cette affaire…
ELLE
Ça, je m'en doute.
LUI
… me réservant de dire son fait à ce monsieur le jour où je le rencontrerais. Mais puisque tu le prends comme ça, c'est une autre paire de manches. Je vais vous faire voir à tous les deux, à cet imbécile et à toi, si j'ai du sang dans les veines oui ou non et si je suis un monsieur qui a peur des coups. (Il écrit.)
"Monsieur, votre attitude à l'égard de ma femme a été celle du dernier des goujats et du dernier des paltoquets."
ELLE
Ne fais donc pas l'intéressant. Tu sais très bien que tu n'as pas son adresse.
LUI (qui continue à écrire. )
J'ai son nom et le numéro de son régiment. C'est suffisant et audelà. (Il paraphe sa lettre d'une arabesque imposante.)
Pas de sang! Pas de sang!… Ah! Ah! c'est du sang, qu'il te faut ? Eh bien, ma fille, tu en auras, et plus que tu ne le penses peut-être. Voilà un petit mot de billet dont je ne suis pas mécontent et qui n'est pas, j'ose le prétendre, dans un étui
à lunettes. (Il ricane.)
Qu'est-ce que tu attends ?
ELLE (qui est demeurée silencieuse, la main tendue. )
La lettre, pour la faire mettre à la poste. Il est huit heures, la bonne est levée.
LUI (après avoir clos l'enveloppe. )
Voici. (Il lui tend la lettre, mais, à l'instant où ELLE va la prendre, il la retire d'un brusque recul de la main et l'enfouit en la poche de son habit.)
Et puis, au fait, non. Je la mettrai moi-même à la boîte. Je serai plus sûr qu'elle arrivera.
ELLE
A Pâques.
LUI
étonné.
A Pâques ?…
ELLE
Ou à la Trinité. Le jour où M. Malbrough rentrera dans le château de ses pères.
LUI
De l'esprit ? Le temps va changer. (Geste de Madame.)
Il suffit. Tes insinuations en demi-teintes font ce qu'elles peuvent pour être blessantes, heureusement la sottise n'a pas de crocs. Ta perfidie me fait lever le cœur et ta niaiserie me fait lever les épaules; voilà tout le fruit de tes peines. Là-dessus, tu vas me faire le plaisir de te taire, ou alors ça va se gâter. Je veux bien me borner, en principe, à remettre un goujat à sa place par une lettre plus qu'explicite, mais c'est à la condition, à la condition expresse, que la question sera tranchée et que je n'entendrai plus parler de lui. (Indigné, les bras jetés sur la poitrine.)
Comment! voilà un galapiat, un traîneur de rapière en chambre, qui non seulement manquerait de respect à ma femme, mais viendrait pardessus le marché mettre la zizanie chez moi ? troubler la paix de mon ménage ? Oh ! mais non !
Oh ! mais n'en crois rien ! Donc, tu peux te le tenir pour dit : la moindre allusion à ce monsieur, la moindre ! c'est clair, n'est-ce pas ? et ce n'est plus une lettre qu'il recevrait de moi.
ELLE
Qu'est-ce qu'il recevrait ?
LUI (très catégorique. )
Mon pied.
ELLE
Ton pied ?
LUI
Mon pied en personne, si j'ose m'exprimer ainsi.
ELLE (pouffant de rire. )
Pfff.
LUI (qui saute sur son pardessus et l'endosse. )
Veux-tu que j'y aille tout de suite ?
ELLE (froidement. )
Je t'en défie.
LUI (son chapeau sur la tête. )
Ne le répète pas.
ELLE
Je t'en défie.
LUI
Fais attention.
ELLE
Je t'en défie!
LUI
Pour la dernière fois, réfléchis bien à tes paroles. (Solennel, la main sur son cœur.)
Devant Dieu qui me voit et m'entend, nous nagerons dans la tragédie si je passe le seuil de cette porte.
ELLE (courant à la porte qu'ELLE ouvre. )
Le seuil ? Le voilà, le seuil! Et voici la porte grande ouverte.
LUI
Aglaé…
ELLE
Passe-le donc, un peu! Passe-le donc, le seuil de la porte! Non, mais passe-le donc, que je voie, et va donc lui donner de ton pied, à ce monsieur.
LUI
Aglaé…
ELLE
Mais va donc, voyons! Qu'est-ce qui te retient ? Qu'est-ce qui t'arrête ? Va donc ! Va donc ! Va donc! Va donc!
LUI (jouant la stupéfaction. )
Tu me donnes des ordres, Dieu me pardonne ! "Va donc !" dit madame, "Va donc !" (Retirant son paletot qu'il jette au dossier d'un siège.)
C'est étonnant comme j'obéis ! (Haussement apitoyé de l'épaule.)
En vérité, tu aurais seulement dix ans de moins, je t'administrerais une fessée pour te rappeler au sentiment des convenances. Qui est-ce qui m'a bâti une morveuse pareille!… une gamine, on lui presserait le nez il en sortirait du lait, qui se permet de donner des ordres et de dire "Va donc" à son mari !
ELLE (installée près du lit et attaquant son pantalon. )
Le fait est qu'en parlant ainsi j'ai perdu une belle occasion de garder pour moi des paroles inutiles.
LUI
Et tu en perds une seconde en émettant cette vérité d'une ambiguïté si piquante. Car tu la juges telle, j'imagine.
ELLE
Trop polie pour te démentir.
LUI
Oui ? Eh bien, j'ai le regret de t'apprendre que le jour où l'esprit et toi vous passerez par la même porte, nous n'attraperons pas d'engelures.
ELLE
Ce qui veut dire qu'il fera singulièrement chaud ?
LUI
Singulièrement chaud, oui, ma fille. (Goguenard.)
Tu as cru que c'était arrivé ?
ELLE
Comment ?
(ELLE est revenue à la cheminée. En chemise, les pieds nus dans des mules, ELLE se prépare un verre d'eau sucrée.)
LUI
Tu ne t'es pas aperçue que je me moquais de toi?
ELLE
Je l'avoue.
LUI
Tu ne t'es pas rendu compte que je mystifiais ta candeur ?
ELLE
Ma foi non.
LUI
Jour de Dieu! comme dit Mme Pernelle, tu as de la naïveté de reste. Je t'en prie, laissemoi rire; c'est trop drôle. (Il se pâme.)
Me voyez-vous ? Non, mais me voyez-vous, tombant à huit heures du matin dans un quartier de cavalerie, le camélia à la boutonnière, et tirant les oreilles à ce monsieur devant un escadron rangé en bataille ?…
ELLE
Ça ne manquerait pas de chic.
LUI
Comment donc!…
ELLE
Qu'est-ce qui t'empêche de le faire ?
LUI
Rien!… une niaiserie! la moindre des choses!
ELLE (qui se met au lit. )
Enfin, quoi ?
LUI
Moins que rien, je te dis. Le sentiment du plus élémentaire devoir : le respect de l'uniforme français. Tu vois que ça ne valait pas la peine d'en parler.
ELLE (couchée. )
Comprends pas.
LUI
Bien entendu. Un morveux d'officier m'outrage. Je ne lui casse pas les reins; pourquoi ?
Parce que mon patriotisme parlant plus haut que ma violence me crie : "Ne fais pas ça, ce serait mal. Songe à la France qui est ta mère, et n'attente pas, par un châtiment public, au prestige de l'épaulette." Je m'incline. Tu ne comprends pas. Si tu te figures que ça m'étonne!
ELLE
Cœur magnanime!
LUI
Tais-toi donc, vous êtes toutes les mêmes, fermées comme des portes de cachot à tout ce qui est grandeur d'âme, générosité naturelle et noblesse de sentiments. Quelle race!… Oh! tu peux rigoler. Je suis au-dessus de tes appréciations. J'ai ma propre estime, qui me suffit, et toi du moins tu ne te plaindras pas de moi, Patrie : je fais passer tes affaires avant les miennes.
ELLE (accoudée dans l'oreiller. )
Tu as raté ta vocation. Tu aurais dû te faire cabotin.
LUI
Blague, pendant que tu en as le temps. Tu ne triompheras pas toujours, car, entre ce monsieur et moi, ce n'est que partie remise.
ELLE
Ah! aouat!
LUI
Que je le repince, ce monsieur; qu'il me retombe jamais sous la main… Je lui flanquerai une petite leçon de savoir-vivre qui lui ôtera l'envie d'en recevoir une seconde.
ELLE
Tu dis des bêtises.
LUI
Je lui referai une éducation, moi, à ce monsieur.
ELLE
Mais oui, mais oui.
LUI
Avec mon pied dans le derrière.
ELLE
C'est convenu.
LUI
Tu ne me crois pas ?
ELLE
Je ne fais que ça.
LUI
Tu ne fais que ça, seulement tu n'en penses pas un mot. Eh bien! que je dégotte son adresse, j'irai lui dire comment je m'appelle, tu verras si ça fait un pli.
ELLE
C'est au point que, si on te la donnait, tu irais le gifler de ce pas.
LUI
De ce pas.
ELLE
Homme intrépide!…
La veux-tu ?
LUI
Quoi ?
ELLE
Son adresse.
LUI
Tu as l'adresse de ce monsieur ?
ELLE (qui enfin éclate. )
Oui je l'ai! et puis tu m'assommes ! (ELLE saute du lit, s'empare de son carnet de bal, qu'ELLE a déposé sur le chiffonnier, près du lit, et en feuillette les pages d'une main fiévreuse.)
Et puis, oui, il ne me déplaît pas! et puis, oui, il m'a fait la cour! et puis, oui, il m'a dit de toi que tu avais une bonne tête de…
LUI
Une bonne tête de quoi ?
ELLE
Une bonne tête…, une bonne tête…, tu sais parfaitement ce que je veux dire…
LUI
Pardon!…
ELLE
Et puis oui, je suis une honnête femme! et puis oui, tu ne seras satisfait que le jour où je serai devenue autre chose! et puis oui, il m'a remis sa carte! et cette carte la voici! et tu sais maintenant où le trouver et tu peux y aller tout de suite, lui casser les reins à ce monsieur!
LUI (formidable. )
Sa carte! sa carte! Je me fous de sa carte comme de lui-même, ce qui n'est pas peu dire. Tiens, voilà ce que j'en fais, de sa carte : des confetti!
Polisson ! Drôle !… qui a le toupet de donner son adresse à une femme mariée…
ELLE (très sèche. )
Mais…
LUI
… et qui se permet de dire de moi que j'ai une bonne tête de!
ELLE (qui se recouche. )
Si c'est son opinion.
LUI
Je l'en ferai changer avant qu'il soit l'âge d'un cochon de lait, et pas plus tard qu'à l'instant même. (Même jeu de scène que précédemment. Il a couru à son pardessus qu'il a enfilé précipitamment. Il se coiffe de son chapeau.)
Qu'est-ce que j'en ai fait de cette carte ? (Il fouille ses poches.)
ELLE
Rue Grange-Batelière, 17.
LUI (sourd comme un pot. )
Nom d'un chien, je l'ai égarée! ces choses-là n'arrivent qu'à moi.
ELLE
Rue Grange-Batelière, 17.
LUI (de plus en plus sourd. )
II n'y a de la veine que pour la canaille, on a bien raison de le dire.
ELLE
Rue Grange-Batelière, 17.
LUI
Quoi, rue Grange-Batelière ? Quoi, rue Grange-Batelière ? Est-ce que tu vas me raser longtemps avec ta rue Grange-Batelière ? (Enlevant violemment son pardessus et son chapeau.)
D'abord qu'est-ce que c'est que ces façons d'élever la voix lorsque je parle et de causer en même temps que moi ?
ELLE
Ce monsieur…
LUI (qui bondit vers le lit. )
Ah! je t'y pince! (Stupéfaction de Madame.)
Tu voudrais détourner la question, fine mouche.
ELLE
Moi ?
LUI
Je te prends la main dans le sac, flagrant délit d'impertinence; alors toi, tout de suite : "
Ce monsieur". Tu es rouée comme une potence; seulement voilà, ça ne prend pas avec moi, ces malices cousues de corde à puits.
ELLE (au comble de l'énervement. )
Oh ! Oh ! Oh !
LUI
Pas une minute ! Fais-toi bien à cette idée-là. D'ailleurs, tout ça, je sais de qui ça vient.
ELLE
Ça vient de quelqu'un ?
LUI
Ça vient de ta mère.
ELLE (abasourdie. )
Ça c'est un comble, par exemple!… Qu'est-ce que maman a à voir làdedans ?
LUI
Elle a à voir que si jamais elle remet les pieds ici, je la prends par le bras et je la flanque à la porte.
ELLE (qui fond en larmes. )
Hi! hi! hi!
LUI
Absolument. Et quant à toi, je te défends de retourner chez elle, ou c'est à moi que tu auras affaire.
(Crise de sanglots de Madame qui s'effondre dans son oreiller.)
LUI (allant et venant par la chambre. )
C'est comme la bonne. En voilà une qui ne moisira pas ici. Je vas lui octroyer ses huit jours, le temps de compter jusqu'à cinq. Ah! et puis y a le chat que j'oubliais! une saloperie qui passe sa vie à aller faire ses ordures dans le porte-parapluies de l'antichambre. Il aura de mes nouvelles, le chat : je vas le foutre par la fenêtre et nous verrons un peu s'il retombera sur ses pattes ! (Se jetant les bras sur la poitrine.)
Non, mais enfin je vous le demande; qu'est-ce que c'est qu'un monde pareil! Tout ceci va changer. La mère, la fille, la bonne, le chat, je vais vous faire valser tous les quatre, ah là! là! Ah! je suis un monsieur qui a peur des coups! Ah! je suis un monsieur qui a peur des coups!…
(Grêle de coups de canne en travers du guéridon. Hurlements désolés de Madame.)
(FIN)
Georges CourtelineUne lettre chargéeSaynète(Représentée pour la première fois, sur la scène du Carillon, le 10 juin 1897.)PersonnagesLa Brige, Millanvoye.L'employé, Tervil.(La scène se passe à la Poste.)La Brige (le nez à...
L'huissierMonsieur Le substitut, j'ai l'honneur de vous présenter mes hommages.Le substitutBonjour, Loyal. Vous avez l'Officiel ?L'huissierNon, Monsieur Le substitut.Le substitutDepuis ce matin, je bats tous les kiosques de Paris; pas...
Théodore (sa voix, à la cantonade.)Ah çà; mais quel étage que je suis?… Bon sang de sort, en v'là une affaire!… j'sais pus quel étage que je suis!… Va falloir...
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