Mémoire

I

L’eau claire ; comme le sel des larmes d’enfance ;
L’assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ;
La soie, en foule et de lys pur des oriflammes
Sous les murs dont quelque pucelle eut la défense ;

L’ébat des anges ; — non… le courant d’or en marche,
Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d’herbe. Elle.
Sombre, avant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle
Pour rideaux l’ombre de la colline et de l’arche.

II

Eh ! l’humide carreau tend ses bouillons limpides !
L’eau meuble d’or pâle et sans fond les couches prêtes.
Les robes vertes et déteintes des fillettes
Font les saules, d’où sautent les oiseaux sans brides.

Plus pure qu’un louis, jaune et chaude paupière
Le souci d’eau — ta foi conjugale, ô l’Épouse ! —
Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse
Au ciel gris de chaleur la sphère rose et chère.

III

Madame se tient trop debout dans la prairie
Prochaine où neigent les fils du travail ; l’ombrelle
Aux doigts ; foulant l’ombelle ; trop fière pour elle
Des enfants lisant dans la verdure fleurie

Leur livre de maroquin rouge ! Hélas, Lui, comme
Mille anges blancs qui se séparent sur la route,
S’éloigne par delà la montagne ! Elle, toute
Froide, et noire, court ! après le départ de l’homme !

IV

Regret des bras épais et jeunes d’herbe pure !
Or des lunes d’avril au cœur du saint lit ! Joie
Des chantiers riverains à l’abandon, en proie
Aux soirs d’août qui faisaient germer ces pourritures !

Qu’elle pleure à présent sous les remparts : l’haleine
Des peupliers d’en haut est pour la seule brise.
Puis, c’est la nappe, sans reflets, sans source, grise ―
Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine.

V

Jouet de cet œil d’eau morne, je n’y puis prendre,
Ô canot immobile ! ô bras trop courts ! ni l’une
Ni l’autre fleur : ni la jaune qui m’importune,
Là ; ni la bleue, amis, à l’eau couleur de cendre.

Ah ! la poudre des saules qu’une aile secoue !
Les roses des roseaux dès longtemps dévorées !…
Mon canot toujours fixe ; et sa chaîne tirée
Au fond de cet œil d’eau sans bords — à quelle boue ?


"Poésies" est un titre générique utilisé pour regrouper les premiers poèmes d’Arthur Rimbaud, écrits entre 1869 et 1872, alors qu’il est encore adolescent. Ces textes, publiés de manière posthume ou dans des revues littéraires de son vivant, reflètent l’évolution rapide de son style et de sa vision poétique. On y trouve à la fois des traces de sa jeunesse provinciale, des révoltes contre les institutions, et des éclats de génie annonçant ses œuvres majeures comme "Une saison en enfer" ou "Les Illuminations".

Dans ces poèmes, Rimbaud explore une variété de thèmes, souvent marqués par une intensité émotionnelle et une recherche de liberté. Certains textes, comme "Ma Bohème", célèbrent l’évasion, la vie vagabonde et la communion avec la nature, témoignant de son désir d’échapper à la rigidité de la société bourgeoise. D’autres, comme "Le Dormeur du Val", abordent des thèmes plus sombres, notamment la guerre et la mort, à travers des images puissantes et poignantes.

Les poèmes de "Poésies" reflètent également une révolte contre les conventions littéraires et sociales. Rimbaud critique la religion, l’autorité et la morale de son époque, adoptant parfois un ton satirique ou provocateur, comme dans "Les Assis", où il raille les bourgeois enfermés dans leur conformisme. Son style évolue rapidement vers une modernité radicale, avec une utilisation novatrice du langage, des rythmes et des images.

Ce recueil marque aussi les premiers pas de Rimbaud vers sa célèbre théorie du "voyant", qu’il développe dans sa correspondance. Il y explore l’idée que le poète doit expérimenter des états de conscience extrêmes, en "dérèglant tous les sens", pour atteindre une vérité profonde et universelle.

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