Les pauvres à l’église

Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d’église
Qu’attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux
Vers le chœur ruisselant d’orrie et la maîtrise
Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux ;

Comme un parfum de pain humant l’odeur de cire,
Heureux, humiliés comme des chiens battus,
Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire,
Tendent leurs oremus risibles et têtus.

Aux femmes, c’est bien bon de faire des bancs lisses,
Après les six jours noirs où Dieu les fait souffrir !
Elles bercent, tordus dans d’étranges pelisses,
Des espèces d’enfants qui pleurent à mourir :

Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,
Une prière aux yeux et ne priant jamais,
Regardent parader mauvaisement un groupe
De gamines avec leurs chapeaux déformés.

Dehors, le froid, la faim, l’homme en ribote :
C’est bon. Encore une heure ; après, les maux sans noms !
— Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote
Une collection de vieilles à fanons ;

Ces effarés y sont et ces épileptiques
Dont on se détournait hier aux carrefours ;
Et, fringalant du nez dans des missels antiques
Ces aveugles qu’un chien introduit dans les cours.

Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,
Récitent la complainte infinie à Jésus
Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide,
Loin des maigres mauvais et des méchants pansus,

Loin des senteurs de viande et d’étoffes moisies,
Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants ;
— Et l’oraison fleurit d’expressions choisies,
Et les mysticités prennent des tons pressants,

Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie
Banals, sourires verts, les Dames des quartiers
Distingués, — ô Jésus ! — les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers.


"Poésies" est un titre générique utilisé pour regrouper les premiers poèmes d’Arthur Rimbaud, écrits entre 1869 et 1872, alors qu’il est encore adolescent. Ces textes, publiés de manière posthume ou dans des revues littéraires de son vivant, reflètent l’évolution rapide de son style et de sa vision poétique. On y trouve à la fois des traces de sa jeunesse provinciale, des révoltes contre les institutions, et des éclats de génie annonçant ses œuvres majeures comme "Une saison en enfer" ou "Les Illuminations".

Dans ces poèmes, Rimbaud explore une variété de thèmes, souvent marqués par une intensité émotionnelle et une recherche de liberté. Certains textes, comme "Ma Bohème", célèbrent l’évasion, la vie vagabonde et la communion avec la nature, témoignant de son désir d’échapper à la rigidité de la société bourgeoise. D’autres, comme "Le Dormeur du Val", abordent des thèmes plus sombres, notamment la guerre et la mort, à travers des images puissantes et poignantes.

Les poèmes de "Poésies" reflètent également une révolte contre les conventions littéraires et sociales. Rimbaud critique la religion, l’autorité et la morale de son époque, adoptant parfois un ton satirique ou provocateur, comme dans "Les Assis", où il raille les bourgeois enfermés dans leur conformisme. Son style évolue rapidement vers une modernité radicale, avec une utilisation novatrice du langage, des rythmes et des images.

Ce recueil marque aussi les premiers pas de Rimbaud vers sa célèbre théorie du "voyant", qu’il développe dans sa correspondance. Il y explore l’idée que le poète doit expérimenter des états de conscience extrêmes, en "dérèglant tous les sens", pour atteindre une vérité profonde et universelle.

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