Villes - L'acropole officielle

L’acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales ; impossible d’exprimer le jour mat produit par le ciel, immuablement gris, l’éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier, toutes les merveilles classiques de l’architecture, et j’assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu’Hampton-Court. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères ; les subalternes que j’ai pu voir sont déjà plus fiers que des Brennus, et j’ai tremblé à l’aspect des gardiens de colosses et officiers de constructions. Par le groupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on évince les cochers. Les parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe, le haut quartier a des parties inexplicables : un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candélabres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d’acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.

Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j’ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville ! C’est le prodige dont je n’ai pu me rendre compte : quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l’acropole ? Pour l’étranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant est un circus d’un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques, mais la neige de la chaussée est écrasée ; quelques nababs, aussi rares que les promeneurs d’un matin de dimanche à Londres, se dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge : on sert des boissons polaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies. À l’idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres. Je pense qu’il y a une police ; mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à me faire une idée des aventuriers d’ici.

Le faubourg, aussi élégant qu’une belle rue de Paris, est favorisé d’un air de lumière, l’élément démocratique compte quelque cents âmes. Là encore, les maisons ne se suivent pas ; le faubourg se perd bizarrement dans la campagne, le « Comté » qui remplit l’occident éternel des forêts et des plantations prodigieuses où les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumière qu’on a créée.


Villes - L'acropole officielle
"Les Illuminations" est une œuvre majeure d'Arthur Rimbaud, composée entre 1872 et 1874. Il s'agit d'un recueil de poèmes en prose, ou parfois en vers libres, qui marque l'apogée de sa quête poétique et une révolution dans la littérature. Ces textes, empreints de visions oniriques et d'images saisissantes, sont le fruit d'une expérimentation radicale avec le langage, le rythme et la structure. Ils incarnent parfaitement la théorie du "voyant" de Rimbaud, selon laquelle le poète doit explorer des états de conscience élargis pour révéler des vérités profondes.

Le titre même, "Illuminations", suggère des visions lumineuses et mystiques, bien que son interprétation reste ouverte. Rimbaud explore ici des thèmes variés, tels que la modernité, le voyage, le désir, la nature, la ville, et même une quête métaphysique. Ces poèmes ne racontent pas d’histoire linéaire ; ils fonctionnent plutôt comme des éclats d’impressions ou des fragments d’univers, où l'imaginaire et le réel se mêlent.

Certains poèmes, comme "Marine" ou "Villes", célèbrent la modernité et la transformation des paysages urbains et industriels, tandis que d'autres, comme "Barbare" ou "Being Beauteous", plongent dans des visions énigmatiques et presque hallucinatoires. On retrouve aussi des réflexions sur l'amour, souvent empreintes de sensualité et de mélancolie, comme dans "Aube", où il décrit une rencontre mystique avec l’aurore.

Les textes de "Les Illuminations" se caractérisent par une liberté formelle totale. Rimbaud brise les conventions poétiques de son époque, abolissant la ponctuation et les structures fixes, tout en jouant sur des associations d'idées et d'images surprenantes. Le langage devient ici une matière vivante, capable de suggérer des réalités multiples et des vérités invisibles.

Publiée pour la première fois en 1886, soit bien après que Rimbaud a abandonné la poésie, l'œuvre est largement reconnue comme l’un des sommets de la poésie moderne. Elle a influencé de nombreux mouvements littéraires, notamment le surréalisme, et reste une source d’inspiration pour les poètes et artistes du monde entier. "Les Illuminations" représente l’éclat ultime de la vision poétique de Rimbaud, avant son retrait définitif de la littérature.

Autres textes de Arthur Rimbaud

Poésies

"Poésies" est un titre générique utilisé pour regrouper les premiers poèmes d’Arthur Rimbaud, écrits entre 1869 et 1872, alors qu’il est encore adolescent. Ces textes, publiés de manière posthume ou...



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